

Transcription de l'entretien
Florence Bénézit
Partner chez Artefact et experte en Gouvernance Data & IA
"Le Futur du Travail avec l’IA"
Bonjour à tous. Bienvenue dans ce nouvel épisode de The Bridge sur la plateforme média d’Artefact.
Bonjour Céline, vous êtes la PDG d’Odoxa. Nous avons réalisé cette étude ensemble. Vous avez mené l’enquête auprès des salariés français. Artefact a mené une série d’entretiens en entreprise pour éclairer les enseignements de l’enquête. Pouvez-vous nous expliquer les spécificités d’Odoxa et pourquoi vous êtes bien placés pour réaliser ce type d’enquête ?
Ensemble, nous avons mené une étude pour mieux comprendre l’impact de l’IA au travail : une enquête auprès des salariés français suivie d’entretiens avec des entreprises pour éclairer qualitativement les résultats. Nous avons choisi Odoxa pour son approche intéressante de ces enquêtes.
Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez abordé cette enquête ?
Chez Odoxa, notre devise est de dire ce que nous pensons. Nous n’avons pas d’opinions arrêtées sur les choses et nous n’imposons pas nos opinions aux gens, aux Français. Mais nous nous efforçons de répondre aux questions. C’est-à-dire que ce n’est pas parce que le client vient avec une question compliquée qu’on va lui donner un livre de chiffres et qu’au bout du compte, il y a plus de questions que de réponses.
Les salariés français utilisent-ils l’IA aujourd’hui ? Et comment ?
Pour l’instant, pas beaucoup. Quand on regarde les chiffres, il y a 12% des salariés qui utilisent l’IA dans leur travail ou qui sont vraiment directement impactés, même si je n’aime pas trop ce mot, en tout cas, qui ont vraiment un rapport direct avec l’intelligence artificielle. Donc vous voyez, ça reste une minorité de Français.
Maintenant, on peut imaginer que ça va progresser assez vite puisqu’on a 30% qui s’ajoutent à ces 12%, en nous disant qu’on n’utilise certes pas l’IA, mais que l’IA est utilisée dans notre entreprise. Et puis on a aussi 17% des salariés qui disent, je comprends que mon entreprise va commencer à utiliser l’IA. Finalement, cette population représente près de 60 % de la population des employés qui ont aujourd’hui une relation avec l’IA ou qui auront bientôt une relation avec l’IA.
On ne va pas rentrer dans les détails maintenant, mais tous les secteurs utilisent plus ou moins l’IA, certains plus que d’autres, notamment le secteur commercial. Il est évident que les grands retailers font un usage intensif de l’IA. Par contre, il y a une grande différence d’âge, dans les mêmes entreprises, on a 29% de jeunes salariés, ceux qui ont entre quinze et vingt-quatre ans qui nous disent oui, aujourd’hui j’utilise l’IA, et quand on regarde les quinquagénaires les plus âgés de l’entreprise, eh bien, ils ne sont que 5%.
Alors je vais vous poser une question en retour. Selon vous, est-ce que cela ne risque pas de creuser encore plus le fossé que l’on voit déjà dans les entreprises, avec une mise à l’écart complète des personnes plus âgées ?
Il existe un risque pour ceux qui pourraient passer à côté de l’IA, mais nuançons ce point. Ce que nous observons sur le terrain, c’est que les seniors sont tout aussi curieux que les jeunes employés et qu’ils expérimentent tout autant l’IA. Les jeunes travailleurs ont des tâches plus répétitives qui se prêtent bien à l’IA. Ils ont également plus à apprendre, et l’IA les aide à se perfectionner plus rapidement. Nous pensons qu’ils ont un rôle à jouer pour montrer la voie à leurs aînés.
Il est clair que l’IA est une source d’information et permet de développer des compétences. Mais nous avons aussi regardé les résultats de votre enquête et remarqué qu’il y a un fort taux d’adoption – 22% – deux fois plus de managers que d’opérationnels. Ils utilisent l’IA de manière plus variée. En d’autres termes, ce que nous constatons, c’est que ce sont les personnes qui ont le plus à gagner qui l’utilisent le plus.
Et il ne s’agit pas nécessairement d’un fossé générationnel. En revanche, il peut y avoir beaucoup d’enthousiasme et une plus grande familiarité chez les plus jeunes, et nous comptons sur eux pour faire adhérer les plus âgés à l’adoption de l’IA.
L’IA n’est pas parfaite, elle peut faire des erreurs.
Les salariés français sont-ils satisfaits de l’utilisation de l’IA ou la tendance est-elle appelée à s’estomper ?
Oui, ils en sont satisfaits. C’est d’ailleurs assez spectaculaire, ce qui est un bon signe que l’IA ne s’essouffle pas. Car essayer l’IA, c’est l’adopter. Lorsque nous demandons aux employés qui utilisent l’IA s’ils en sont satisfaits, nous obtenons un taux de satisfaction de 92%. A croire qu’on a inventé ce chiffre pour faire plaisir à l’intelligence artificielle !
Et beaucoup de marques et d’entreprises aimeraient bien avoir ces taux de satisfaction. Pourquoi ? Parce que c’est pratique, et on va rentrer un peu plus dans le détail tout à l’heure pour savoir à quoi ça sert, comment ça peut nous aider à être plus rentable et à gagner du temps. Mais c’est surtout un plaisir. Et c’est aussi pour cela qu’au final, les Français sont si satisfaits lorsqu’ils utilisent l’IA, car 83% d’entre eux nous disent qu’elle rend leur travail plus simple et plus agréable.
Ils se sentent également plus libres dans leur gestion du temps grâce à l’IA. Nous verrons cela aussi plus tard. Elle crée de nouveaux liens avec les autres employés, ce qui est un peu inattendu, car on aurait pu penser qu’elle rendrait les gens encore plus désireux de dialoguer avec la machine. C’est donc un niveau de satisfaction élevé que l’on constate, ce qui laisse penser qu’il devrait en être de même pour les autres salariés qui utiliseront l’intelligence artificielle dans les années à venir.
Formidable !
Alors, est-ce que tout le monde va l’adopter et améliorer sa qualité de vie au travail ?
Alors oui, peut-être, espérons-le. Mais ceux qui utilisent l’IA y voient aussi des inconvénients. En fait, j’allais dire heureusement, parce que si tout le monde se jetait allègrement dans l’IA sans se poser de questions, cela deviendrait inquiétant. Or, les Français se posent beaucoup de questions. Par exemple, est-ce que c’est bon pour notre économie ? Et si, finalement, l’IA est si sûre que ça ? Quand je rentre des données dans l’IA, est-ce que les informations de mon entreprise ne vont pas circuler ? Et ils posent aussi des questions, disons, métaphysiques. Par exemple, nous avons parlé du plaisir. C’est un gain de temps incroyable.
C’est l’avantage clé de cette étude. Quand on demande aux employés qui utilisent l’IA combien de temps ils gagnent, ils disent que c’est en moyenne 1 heure par jour. Ce qui représente un gain de temps considérable. Et 25 % gagnent jusqu’à 2 heures par jour. Il s’agit donc d’un gain de temps considérable, mais la question logique qui suit immédiatement se pose : Si je gagne autant de temps, mon entreprise ne va-t-elle pas rapidement se rendre compte qu’elle gagnera beaucoup d’argent en me laissant partir ? C’est donc là que le bât blesse. La question qui peut se poser à un moment donné est de savoir si l’entreprise aura toujours besoin de moi.
En tant que personne immergée dans le domaine, aidant les entreprises à mettre en œuvre l’IA, qu’en pensez-vous ? Pensez-vous que l’IA puisse remplacer les humains ?
Oui, c’est la question fondamentale qui a effectivement motivé toute cette étude. Il est indéniable que l’IA, et son biais de productivité, tentent les entreprises. D’un autre côté, la bonne nouvelle est que dans tous nos entretiens, pas une seule fois nous n’avons entendu parler de quelqu’un qui aurait perdu son emploi.
Le pire cas que nous ayons eu est celui d’une entreprise qui a déclaré qu’elle n’aurait plus besoin de son fournisseur de services de centre d’appels. Il y a donc une partie de l’économie qui va souffrir quelque peu de cette automatisation. D’un autre côté, il y a beaucoup d’autres aspects très positifs qui stimuleront l’économie interne avant que nous n’en arrivions là. Nous devons comprendre que la filiale d’IA commet des erreurs.
Elle aura besoin d’être supervisée. Et qui dit supervision dit travail. C’est comme l’histoire de l’automatisation : nous avons automatisé le travail dans les champs. Nous avons encore l’agriculteur sur son tracteur, nous avons ajouté des machines dans les usines, nous avons besoin de contremaîtres. Eh bien, nous allons avoir des contremaîtres IA et, en fait, nous allons avoir besoin de beaucoup d’entre eux.
Et une grande partie des travailleurs qui recevront des augmentations et des primes devront s’assurer qu’ils ont bien fait leur travail.
Oui, l’enquête montre clairement que l’adoption de l’IA s’accompagne de changements dans les processus. 27% des employés des départements qui ont adopté l’IA constatent une évolution significative des responsabilités, 60% observent une transformation des processus (que ce soit par la simplification ou l’automatisation), et 81% constatent des gains de productivité au sein de leur département. Ce qui est intéressant, c’est de savoir ce que deviennent ceux dont on peut se passer aujourd’hui, et dont on pourra se passer demain avec l’IA.
Ce que nous avons observé, c’est que la plupart d’entre eux savaient en fait dès le début du déploiement de l’IA ce qu’ils allaient devenir. Et c’est peut-être aussi une des clés de la réussite du déploiement de l’IA. Il faut embarquer les gens, les rendre acteurs de cette aventure. Dans la plupart des cas, ils savaient dès le départ qu’ils allaient être réorientés vers des tâches plus intéressantes, plus complexes et surtout beaucoup plus gratifiantes.
Les tâches en contact avec la clientèle, par exemple, leur permettront d’être beaucoup plus proches des clients et de l’aspect humain, qu’ils aiment beaucoup. Cependant, nous n’avons jamais vu de salariés perdre leur emploi. Les employés qui ne sont pas réaffectés à des rôles de supervision ont tendance à se concentrer sur des cas plus complexes ou sont réorientés vers un service à la clientèle à plus forte valeur ajoutée. Concrètement, le travail est réinventé par ceux qui comprennent les détails des tâches. Cette transformation ne fonctionne que si l’employé est motivé.
Dans de nombreux cas, nous avons vu des équipes submergées de travail, incapables d’embaucher du personnel supplémentaire, et l’IA est venue alléger ce fardeau.
C’est un sujet qu’il faudra travailler dans le temps pour évaluer l’impact de l’IA sur l’emploi. Dans cette enquête, on constate que de nouveaux emplois ont été créés dans les entreprises, puisque 40,9% des salariés disent que de nouveaux postes ont dû être créés pour assurer le bon fonctionnement de l’IA dans leur entreprise, que ce soit des postes de spécialistes de la data ou d’autres types de postes.
D’ailleurs, ils nous disent que les résultats sont plutôt positifs. Dans votre département, diriez-vous que l’intégration de l’IA a entraîné plus de créations que de suppressions d’emplois ? 25% nous disent oui, 20% nous disent le contraire, des pertes d’emplois plutôt que des créations. Cela fait donc cinq points entre les deux.
Il n’y a pratiquement pas de changement, donc on peut dire qu’il y a un petit bonus pour l’emploi et pour l’évolution des postes. Il est intéressant de voir quelles sont les personnes qui ont pu être embauchées ou quels sont les postes privilégiés dans l’entreprise. La majorité des gens, 46%, nous disent que cela ne change rien.
En d’autres termes, ce sont les mêmes personnes qui font de l’IA, mais avec un recrutement plus fort, ou du moins un engagement plus fort de la part des employés qui ont un profil technique dans l’entreprise. Alors, l’IA, c’est l’avènement des techniciens ?
C’est l’avènement des techniciens, bien sûr, mais pas seulement. En réalité, l’IA va aussi stimuler l’économie au point de devoir créer des emplois dans des domaines non techniques. Donc, en fait, les gains de productivité et tous ces progrès ont historiquement stimulé l’économie et encouragé la création d’entreprises, ce qui crée des emplois. Et nous pensons qu’avec l’IA générative, qui permet d’accélérer les cycles d’innovation, nous pourrons prototyper une application très simplement.
Aujourd’hui, les équipes de R&D peuvent faire des simulations beaucoup plus rapidement et inventer les nouveaux produits et services de demain beaucoup plus rapidement. Nous pensons donc qu’il y aura beaucoup de créations d’entreprises, ou du moins de services associés grâce à cette innovation, et que ces nouveaux produits devront être vendus et le service rendu, ce qui stimulera l’économie et créera des emplois.
Et une autre étude du Forum économique mondial prévoit qu’il y aura beaucoup plus de créations d’emplois que de pertes d’emplois.
Espérons que ce sera le cas ! Il y a aussi une question qui va se poser, qui est abordée dans l’étude, c’est la formation des personnes qui utilisent l’IA. Il y a clairement un besoin de formation de la part des salariés français qui utilisent ou non l’IA, mais concentrons-nous sur ceux qui l’utilisent aujourd’hui.
La moitié d’entre eux n’ont pas encore été réellement formés, ils apprennent le fonctionnement de l’IA au fur et à mesure. Et parmi ceux qui ont été formés, il y en a encore la moitié qui disent OK, j’ai été formé, mais j’aimerais que cela aille un peu plus loin, avoir une formation plus spécialisée.
Et ce qu’ils demandent, ce n’est pas tant une formation à l’utilisation de l’IA, mais une formation à l’utilisation de l’IA dans le contexte de leur travail. C’est ce que nous constatons dans un grand nombre d’études que nous menons actuellement sur l’IA. Il s’agit davantage d’une formation sur la sécurité de l’IA, les questions éthiques, ce qui peut être fait et ce qui ne peut pas être fait. Il s’agit aussi un peu d’un cadre, c’est-à-dire qu’ils aimeraient avoir un cadre plus clair sur ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas faire avec l’IA.
Nous avons donc besoin de beaucoup plus de formation, c’est le genre de demandes que nous recevons.
Lorsque vous rencontrez des chefs d’entreprise ou des personnes censées mettre en œuvre l’IA, pensez-vous qu’ils réalisent qu’il existe un besoin de formation ?
Tout le monde parle de la formation. C’est un sujet récurrent. Tout le monde est bien conscient de ce besoin de formation. En revanche, la question de la nature de la formation reste posée. Il y a encore une incertitude autour de cette question.
Il y a aussi beaucoup de demandes sur la protection des données. C’est donc bien réel. Et la propriété intellectuelle ? On ne sait pas trop ce que c’est.
Et ce qui est très intéressant, c’est que ça montre bien que les salariés français ont compris l’intérêt de l’expérimentation. Pour que cette révolution de l’IA fonctionne, il va falloir que chacun expérimente ce qui est disponible et découvre comment cela va transformer le travail. Et de fait, pour oser expérimenter, il faut un cadre rassurant. Nous avons aussi constaté dans les entretiens qualitatifs que les salariés français sont en attente d’inspiration. Nous avons un DRH qui nous a dit que ce n’est plus une question de formation, c’est une question d’information.
Et la vraie difficulté, c’est que chacun a un travail différent et qu’il faut donc beaucoup contextualiser et personnaliser cette formation. C’est là le défi et la difficulté auxquels sont confrontés les départements des ressources humaines aujourd’hui. Une autre difficulté est qu’il y a constamment des avancées technologiques et que les compétences nécessaires sont donc en constante évolution.
Il y a même des services qui utilisent l’IA pour maintenir leurs référentiels de compétences et s’adapter en permanence à l’évolution des besoins en compétences.
C’est un défi incroyable et c’est peut-être aussi ce que vous dites, c’est-à-dire qu’à l’heure actuelle, on voit qu’il n’y a pas beaucoup de formation dans les entreprises.
Il n’y a pas non plus beaucoup d’informations sur les règles qui ont été mises en place. Dans notre enquête, nous constatons qu’un tiers seulement des entreprises ont émis des recommandations de bonnes pratiques. Un bon tiers ont également pris des mesures pour sensibiliser leurs employés aux opportunités et aux risques, et 26% ont mis en place un soutien en cas de difficultés pratiques.
En résumé, dans chaque cas, seule une minorité d’entreprises a mis en place ce cadre, et une minorité de celles qui se sont tournées vers l’intelligence artificielle dispose de systèmes propriétaires. Il serait intéressant de voir comment cela fonctionne. Car dans l’enquête, on voit que les entreprises qui ont investi dans l’intelligence artificielle ont justement des systèmes propriétaires.
Ceci est très différent des autres cas, car nous constatons des niveaux de rentabilité trois fois supérieurs, ainsi qu’un impact sur l’emploi également trois fois plus important. Présenté ainsi, on peut se demander si tout le monde ne devrait pas investir dans son propre business.
Mais est-ce une vision idéalisée, difficile à mettre en œuvre dans de nombreuses entreprises, ou bien est-ce réalisable avec un accompagnement ?
Bien sûr que c’est réalisable. Et vous avez tout à fait raison. L’un des principaux enseignements de ces derniers chiffres, qui constituent une découverte majeure de cette étude, c’est que l’IA « clé en main » n’est pas forcément aussi efficace qu’une IA que l’entreprise s’approprie et façonne à son image. Bien sûr, cela se fera avec les employés, mais aussi grâce à une gouvernance d’entreprise qui structurera les démarches et donnera aux collaborateurs à la fois la confiance et les outils nécessaires pour véritablement expérimenter et faire fonctionner cette technologie.
Un exemple très simple pour les clients : pour qu’une transformation soit réelle, il faut des acteurs de confiance. De même, pour que l’IA produise des résultats fiables, elle doit être connectée à des informations elles-mêmes fiables. Une IA qui repose sur des données d’entreprise solides, gouvernées et sécurisées, sera un facteur clé de succès dans cette transition.
Oui, et c’est un point essentiel, car dans l’étude, on observe que sept employés sur dix utilisant l’IA estiment avoir un meilleur accès à la connaissance. Mais encore faut-il que cette connaissance soit rigoureusement vérifiée, en particulier pour les jeunes collaborateurs qui utilisent beaucoup l’IA et qui voient en elle un moyen d’accélérer leur montée en compétences.
Oui, c’est l’une des grandes promesses de l’IA : améliorer l’employabilité, faciliter les transitions professionnelles et l’adaptation à de nouvelles fonctions. Nous en parlions à propos des juniors, mais cela s’applique à toutes les étapes d’une carrière. L’employé de demain sera sans doute plus généraliste, capable de sortir plus facilement de son rôle initial, de mieux collaborer, de changer de poste en interne ou même de se reconvertir dans un autre secteur.
Lors de nos entretiens qualitatifs, nous avons remarqué que de nombreux managers s’inquiètent pour l’avenir des capacités cognitives de leurs équipes.
L’IA nous rendra-t-elle paresseux ? Pensons-nous encore par nous-mêmes ou risquons-nous de devenir moins intelligents ?
Si nous avions fait un test avant et après, nous aurions pu mesurer si les gens devenaient moins intelligents ! (rires) Mais ce que nous constatons, c’est que les employés qui utilisent l’IA sont assez lucides quant aux risques. Par exemple, un tiers d’entre eux admettent : « Je fais attention, car je sais que je peux faire trop confiance à l’IA et ne pas vérifier les informations. » Cela varie aussi selon les profils, voire selon le genre : les femmes, par exemple, ont tendance à être plus portées sur la vérification que les hommes. Mais à l’inverse, si on passe son temps à tout vérifier, on perd en efficacité et on devient trop prudent.
C’est pourquoi il est essentiel d’encadrer l’usage de l’IA et de former les collaborateurs, pour qu’ils sachent comment l’utiliser intelligemment : en l’exploitant pour certaines tâches tout en restant attentifs, afin de conserver un esprit critique et une capacité de validation humaine.
Nos entretiens qualitatifs ont révélé que certaines entreprises mettent en place des techniques pour stimuler les capacités cognitives de leurs équipes. Par exemple, interdire le copier-coller depuis ChatGPT oblige les employés à reformuler, ce qui leur fait gagner du temps sans pour autant les rendre totalement passifs.
Plus largement, nous avons observé que certaines entreprises imposent des moments de « déconnexion » de l’IA, sur 2 % à 10 % du temps, pour plusieurs raisons : maintenir l’expertise humaine, éviter une dépendance excessive aux outils et permettre aux collaborateurs de sentir les évolutions du marché et de s’adapter en conséquence. En somme, pour garder des IA performantes, nous devons nous-mêmes rester experts et garder la main sur nos processus.
Une autre question se pose : avec l’IA, sommes-nous en train de nous isoler et de perdre nos interactions humaines ? Allons-nous nous enfermer dans cet univers technologique au point de ne plus avoir besoin des autres ?
Eh bien, contre toute attente, c’est l’inverse qui se produit, du moins selon les employés interrogés. Pour l’instant, en tout cas. Lorsqu’on leur demande comment l’IA influence leurs interactions en entreprise, une majorité claire – 58 % – estime qu’elle favorise le collectif : elle encourage à échanger avec des collègues d’autres services, à parler davantage aux plus jeunes… En revanche, 22 % trouvent qu’elle isole, et 20 % ne constatent aucun changement.
Globalement, le bilan est donc positif, en particulier pour les relations hiérarchiques et intergénérationnelles. Dans un contexte où la pyramide des âges est inversée, l’enjeu de la transmission des compétences est crucial. Si l’IA peut faciliter les échanges entre seniors et jeunes collaborateurs, ce sera un vrai atout pour l’entreprise.
Finalement, cette étude montre que, paradoxalement, l’IA pourrait bien nous recentrer sur l’humain.
C’est l’espoir que nous avons aujourd’hui. Et, en tout cas, c’est ce que nous constatons à ce stade.